En France, l’emploi résiste encore au coup de frein de l’économie, la productivité toujours en berne

L’économie française est sur une ligne de crête. Entre une inflation encore élevée et une croissance morose, les entreprises et les ménages peinent à retrouver de l’optimisme. L’activité tricolore devrait accélérer de 0,7% en 2023 après 2,5% en 2022. La Banque de France a très légèrement révisé ses chiffres de croissance à la hausse (0,1 point) par rapport à mars dans ses dernières projections dévoilées ce mardi 20 juin. S’agissant de 2024 (1%) et 2025 (1,5%), les économistes ont en revanche dégradé leurs projections de 0,2 point pour les deux années. « A l’horizon 2025, l’économie française devrait réussir à sortir de l’inflation. On devrait voir un retour progressif de la croissance sans récession », a déclaré Olivier Garnier, directeur général lors d’un point presse. La Banque de France s’aligne peu ou prou sur les dernières prévisions de l’Insee mises à jour le 15 juin dernier. L’institut de statistiques table désormais sur un PIB à 0,6% cette année.

En France, la croissance économique s’essoufflerait à 0,6% en 2023 selon l’Insee

En revanche,« l’environnement international et la demande adressée à la France sont plus dégradées que prévu », a-t-il poursuivi. L’Hexagone devrait échapper à la récession qui touche la zone euro. Le produit intérieur brut a reculé à 0,1% entre le dernier trimestre 2022 et le premier trimestre 2023.

Dans l’union monétaire, l’Allemagne est empêtrée dans une récession douloureuse. La succession des crises (crise sanitaire et guerre en Ukraine) a mis à mal l’industrie outre-Rhin, dépendante en grande partie de l’énergie russe et de la demande chinoise. Sur le front monétaire, la poursuite de la hausse des taux annoncée par la Banque centrale européenne (BCE) il y a quelques jours risque de comprimer encore plus la demande sur le Vieux continent.

Inflation : de nouvelles hausses de taux sont encore nécessaires, prévient Isabel Schnabel (BCE)

L’étonnante résistance de l’emploi

Sur le front de l’emploi, les indicateurs montrent des signes de résistance. L’économie tricolore pourrait ainsi créer 193.000 emplois dans les secteurs marchand et non marchand. C’est beaucoup moins qu’en 2022 (775.000) et en 2021 (802.000) mais cela reste bien supérieur aux prévisions dévoilées au printemps (60.000). « Le changement significatif est sur l’emploi et le chômage. Dans le passé, on a sous-estimé les créations d’emploi dans nos prévisions », a indiqué Olivier Garnier. Interrogé sur cette révision à la hausse, Matthieu Lemoine, économiste à la Banque de France a jugé que « à court terme, les indicateurs d’emploi sont assez résilients au premier trimestre ». Au final, le chômage rapporté à la population active pourrait continuer de diminuer en 2023 à 7,1% contre 7,3% en 2022. En revanche, il pourrait de nouveau augmenter à partir de l’année prochaine à 7,4% mais beaucoup moins que prévu au printemps.

Productivité : la grande stagnation

Cette surprenante résistance de l’emploi s’est accompagnée d’une chute de la productivité. Depuis la pandémie, le calcul de la productivité par les économistes est complètement brouillé. Entre la fermeture d’un grand nombre de secteurs, le chômage partiel, les statisticiens ont des difficultés à mesurer la richesse produite par habitant en France et en Europe. « Sur le passé, on a été surpris par la dynamique de l’emploi par rapport à l’activité », a résumé Matthieu Lemoine. « Il y a des pertes de productivité durables liées à l’apprentissage. Ces personnes en formation ont un temps de travail plus limité », a-t-il ajouté. En effet, les aides à l’apprentissage se sont envolées depuis la réforme de 2018 et la pandémie. L’objectif du gouvernement français est d’atteindre un million de contrats mais cette subvention de l’emploi dans le secteur privé jugée très coûteuse par les spécialistes des questions de travail devrait s’amenuiser dans les années à venir.

L’économiste évoque également « des effets de composition avec plus de services dans l’économie. Il y a également eu plus de régularisation de l’emploi avec le Covid ».

Enfin d’autres secteurs plus temporaires peuvent expliquer cette faible productivité comme la rétention de la main-d’œuvre dans des secteurs comme l’aéronautique ou l’automobile. En revanche, beaucoup d’économistes évoquent peu la qualité des emplois dans le tissu productif tricolore. Pourtant, la montée en puissance de la micro-entreprise et des métiers à faible valeur ajoutée (livreur, chauffeur) dans l’emploi total participent à la panne des gains de productivité dans l’économie française.

En zone euro, la chute de la productivité devient un phénomène de plus en plus préoccupant

L’inflation révisée à la hausse

L’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH, l’indicateur de référence dans la zone euro ) devrait augmenter plus fortement que prévu. La Banque de France table désormais sur une inflation de 5,6% en 2023 contre 5,4% en mars. La révision à la hausse de l’inflation est liée « aux prix de l’alimentation plus élevés que prévu » a informé Olivier Garnier. Alors que les tarifs de l’énergie ont considérablement chuté depuis le début de printemps, les étiquettes dans l’alimentaire affichent toujours une hausse à deux chiffres autour de 14%.

Compte tenu du poids de l’alimentation dans le budget des ménages les plus modestes, beaucoup de familles risquent encore de se serrer la ceinture pendant de longs mois. En revanche, les conjoncturistes parient sur une inflation beaucoup plus basse en 2024 (2,4%) et 2025 (1,9%).

Une baisse préoccupante de la demande

Sur le front de la demande, les indicateurs sont au rouge. L’inflation a fait plonger la consommation des ménages en France, traditionnel moteur de la croissance. Le pouvoir d’achat par tête serait en repli pendant deux années consécutives. Dans les secteurs privé et public, les salaires réels, c’est-à-dire en prenant en compte l’inflation continuent d’augmenter moins vite que l’indice des prix à la consommation. Résultat, la plupart des catégories professionnelles enregistrent une chute de leur revenu issu du travail.

Le salaire moyen par tête a également reculé en 2022 et 2023. L’investissement des entreprises a été revu à la baisse « tout en restant relativement résilient grâce notamment à la relative bonne tenue des marges des entreprises », soulignent les économistes. Quant à l’investissement des Français, il est en repli. La politique monétaire plus restrictive et le durcissement des conditions d’octroi des prêts ont miné les projets d’investissement des ménages. Reste à savoir si cette baisse de la demande va se poursuivre.

Grégoire Normand

Parutions:

Implants & parasitages – Mode d’emploi.,Fiche de l’éditeur.

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