Rémunération des infirmières : pourquoi rien n’est réglé

, Rémunération des infirmières : pourquoi rien n’est réglé

La pénurie de soignants à l’hôpital est-elle en passe d’être réglée ? La Première ministre l’avait annoncé fin août, le travail de nuit pour les infirmières et les aides-soignantessera rémunéré 25 % de plus que le jour, à partir de janvier prochain. Quant aux dimanches et jours fériés, l’indemnité actuelle sera majorée de 20 %. Inscrite dans le budget de la Sécurité sociale, la mesure doit être examinée par les députés à partir du 24 octobre.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Pendant des années, l’heure de nuit était majorée par un forfait de… 1,07 euro brut de l’heure. En juillet 2022, ce forfait est augmenté pour atteindre… 2,14 euros. « Merci de l’aumône », raille alors le Syndicat national des professionnels infirmiers.

Cette fois, le mode de calcul est modifié : il ne s’agit plus d’un forfait mais d’un pourcentage du salaire horaire. Pour un salaire horaire moyen de jour de 16,50 euros, une augmentation de 25 % représentera 4,12 euros brut de l’heure. Sachant que les nuits durent de 21h à 6h, cela signifie en moyenne 37 euros brut par nuit. Une infirmière peut faire 10 ou 12 nuits par mois à l’hôpital, et donc empocher entre 370 et 444 euros brut en plus.

Pour une infirmière débutante toutefois, ce sera plutôt 18 euros brut en plus par nuit, selon Thierry Amouroux, du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Car contrairement au forfait, le pourcentage tient compte de l’expérience professionnelle, ce qui est « une bonne chose », pointe le syndicaliste.

Le travail le dimanche et les jours fériés reste, lui, rémunéré par un forfait. Les 47 euros brut sont majorés de 20 %, soit 9,40 euros brut de plus. Pour une infirmière qui travaille deux week-ends par mois, cela représentera 113 euros brut supplémentaires.

La Fédération hospitalière de France, qui regroupe hôpitaux et Ehpad publics, a salué des mesures « très positives ». Elle a pointé aussi une légère amélioration sur le front du recrutement : en juin 2023, 4,98 % des postes d’infirmiers étaient vacants dans les établissements dépendants de la FHF, contre 5,7 % en avril 2022. Tout en appelant à « ne pas relâcher l’effort ».

Loin du compte

Côté syndical, l’enthousiasme n’est pas au rendez-vous.

« Nous comprenons que chaque nouveau ministre veuille faire de nouvelles annonces, tel Godefroy de Montmirail qui jette un os à Jacquouille, commence Thierry Amouroux, du SNPI, faisant référence au film culte des années 1990, Les Visiteurs. Mais dire qu’on va agir sur les primes de nuit et de week-end ne correspond pas à nos revendications. Toutes les infirmières ne travaillent pas la nuit. »

Et d’ajouter :

« Nous demandons une revalorisation des salaires, de façon à être payés à la hauteur de nos compétences et de nos responsabilités. Chaque jour, nous avons la vie des patients entre nos mains. »

La désaffection des infirmières pour l’hôpital s’est accentuée après le Covid. Les annonces d’Emmanuel Macron promettant un monde d’après (« la santé n’a pas de prix (…) nous sortirons [de cette crise] avec un système de santé encore plus fort ») ont fait long feu.

Cette désaffection s’inscrit dans un mouvement de fond plus général : après dix ans de carrière à l’hôpital, les infirmières qui y étaient entrées dans les années 1990 étaient encore 60 % à y occuper un poste. Un chiffre tombé à 50 % pour celles entrées dans les années 2010.

La possibilité d’évoluer dans le métier est l’un des enjeux importants pour éviter les départs

De fait, jusqu’au Covid et au Ségur de la santé, la rémunération des infirmières en France était franchement indigente. La France était classée en queue de peloton des pays de l’Union européenne : le salaire moyen des infirmières y était inférieur de 10 % au salaire moyen, quand il était en moyenne supérieur de 20 % ailleurs en Europe. La France était alors classée 30e sur 32 pays de l’OCDE. Entre 2010 et 2019, leur rémunération en tenant compte de l’inflation n’avait pas bougé.

Les annonces qui se sont succédé depuis le Covid n’ont-elles rien changé ? Il y a eu des primes différenciées selon l’exposition des territoires aux vagues Covid, et des majorations d’heures supplémentaires lors des pics de l’épidémie. Mais il s’est agi de mesures ponctuelles.

La prime Ségur de 183 euros net par mois est en revanche plus durable. Versée fin 2020, elle a été pérennisée et étendue aux salariées des hôpitaux privés. Contrairement aux primes, elle entre en compte dans le calcul de la pension de retraite.

Mais « c’est un complément qu’on reçoit lorsqu’on travaille en service », précise Thierry Amouroux, du SNPI.

« Une infirmière en soins généraux qui veut par exemple se former pour devenir infirmière anesthésiste ne touche plus cette prime le temps de la formation. »

Or la possibilité d’évoluer dans le métier est l’un des enjeux importants pour éviter les départs.

Salaires d’appoint

Ces mesures ont toutefois permis au salaire infirmier français de rattraper le niveau du salaire moyen en France. « En 2020, les salaires infirmiers ont augmenté de 2,6 % par rapport à 2019 en termes réels », c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation, indique Gaétan Lafortune, économiste à l’OCDE. Mais la France reste toujours sous la moyenne OCDE.

Les infirmières dans la fonction publique hospitalière ont aussi bénéficié des revalorisations indiciaires : d’abord, à l’hiver 2021-2022, avec l’attribution de points d’indice supplémentaires par échelon. Selon les échelons et les grades, cela a correspondu à des augmentations allant de 4 à 122 euros brut par mois.

Ensuite, lors de l’augmentation du point d’indice de la fonction publique, 3,5 % en juillet 2022 puis 1,5 % un an plus tard. Soit au total, 4,5 % d’augmentation.

D’autres facteurs que les salaires entrent en ligne de compte : les conditions de travail

Désormais, le salaire d’une infirmière débutante est de 1 919 euros brut, et de 3 550 euros brut en fin de carrière. C’est le minimum légal. En réalité, s’y ajoutent automatiquement une indemnité de résidence et d’autres indemnités qui dépendent d’accords locaux.

Si bien que « hors prime et travail de nuit ou le week-end, avec l’indemnité de résidence, une infirmière à temps plein commence à 1 900 euros net », résume Thierry Amouroux, du SNPI.

Problème, l’inflation a fortement augmenté à la même période : 2,1 % en 2021, à 5,9 % en 2022 et une inflation prévisionnelle de 5,6 % en 2023. Résultat des courses : « Les infirmières sont moins bien loties qu’avant le Covid », dénonce Thierry Amouroux.

Avec 400 000 infirmières à l’hôpital, les montants de revalorisation ont beau se chiffrer en milliards – 1,1 milliard d’euros pour les prochaines revalorisations du travail de nuit, week-end et jour férié –, cela ne suffit pas.

« Si on est dans cette situation, c’est parce que la profession est féminine à 93 %. Les politiques estiment que c’est un salaire d’appoint, voire du bénévolat, telles des bonnes sœurs », analyse Thierry Amouroux, du SNPI.

« L’une des principales raisons qui expliquent les réticences des gouvernements à augmenter les salaires de base des infirmiers, et plus généralement des fonctionnaires, est le poids que cela représente en termes d’engagement sur les futures retraites des fonctionnaires », rappelle de son côté l’économiste Brigitte Dormont.

Dégradation des conditions de travail

D’autant que le niveau de rémunération est loin d’être le premier déterminant de l’attractivité. Les infirmières ont toujours été mal payées, sans que cela les empêche de travailler à l’hôpital. Car d’autres facteurs entrent en ligne de compte : les conditions de travail.

« Aucune mesure n’a permis d’amener les rémunérations des soignants à hauteur des contraintes vécues, qu’il s’agisse de la permanence des soins ou des gardes de nuit », pointe de son côté la médecin Anne Gervais, membre du Collectif Inter-Hôpitaux.

Et d’ajouter :

« Cela ne compensera jamais la perte d’autonomie et la dégradation des conditions de travail. Quand on se tape sur l’orteil avec un marteau, même si on est dédommagé, ça continue à faire mal. Si les hausses de rémunération ne sont pas assorties d’un droit de regard sur l’organisation et les conditions de travail, on continuera à avoir une fuite des soignants. »

Le collectif comme les syndicats infirmiers réclament une organisation du travail moins verticale, et l’adoption de ratios : entre six et huit patients par soignant, alors que c’est aujourd’hui le double en France.

Les études montrent que ces quotas améliorent la qualité des soins et leur efficacité : il y a moins d’infections nosocomiales, les séjours durent moins longtemps et donnent lieu à moins de réadmissions.

« Même si cela coûte plus cher les premières années, l’opération s’avère rentable pour les finances publiques après quelques années, explique Thierry Amouroux. La logique économique et la qualité vont de pair. »

L’inverse d’un raisonnement qui demande de « faire plus avec moins ».

Au printemps dernier, une proposition de loi pour imposer des ratios a été examinée au Sénat. Adoptée par la chambre haute, elle prend la poussière à l’Assemblée nationale.

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